Imaginez… utiliser un ordinateur et une webcam pour diagnostiquer à distance une maladie grave. Ou, donner des conseils d’allaitement à une nouvelle mère. Ou encore, aider un adolescent stressé à gérer son anxiété.
C’était un rêve grandiose. Mais, même quand le calendrier est passé de 2019 à 2020, ce rêve semblait encore insaisissable et futuriste.
En théorie, effectuer des évaluations, des bilans de santé et des suivis psychologiques à grande échelle quand le spécialiste est dans un endroit et l’usager est dans un autre semblait n’être qu’une question de temps.
Mais, de combien de temps? Combien de temps faudrait-il, en étant réaliste, pour surmonter les obstacles techniques, obtenir l’approbation du gouvernement et gagner la confiance des membres du public?
Personne ne le savait vraiment.
Et, au début du mois de mars, le futur est devenu réalité. Quand le confinement a été imposé en raison de la COVID-19, le mot d’ordre a été donné : il fallait mettre en œuvre la télésanté – immédiatement!
Soudainement, les membres du personnel à l’HGJ et dans les autres installations du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal s’efforçaient de trouver des solutions qui permettraient aux usagers des soins de santé de recevoir l’attention dont ils avaient besoin tout en étant isolés et en sécurité à leur domicile.
« La COVID-19 a assurément été un catalyseur des changements dont nous parlions et que nous envisagions depuis longtemps », dit le Dr Justin Cross, directeur de la santé numérique au CIUSSS.
« Bien sûr, la pandémie, qui est tellement perturbante et tragique à bien des égards, n’est pas le catalyseur que nous voulions. Mais il est indéniable qu’elle nous a incités à nous engager dans la direction où nous devions aller. »
Un éventail de programmes de télésanté
En quelques jours, les nouveaux services de télésanté ont été créés, tandis que les programmes existants étaient élargis et consolidés. Parmi les plus importants, citons :
• Au Centre de médecine familial Goldman Herzl à l’HGJ, les rendez-vous par le biais de la télésanté sont devenus la norme. À la fin du mois de mai, les visites en personne représentaient seulement de 12 à 13 pour cent de l’ensemble des visites. Pat exemple, pendant la première semaine de mai, seulement 243 rendez-vous en personne ont été enregistrés comparativement à 1 964 en télémédecine (vidéo ou téléphone). Le total de 2 207 visites de cette semaine est à peu près le même que toutes les visites en personnes à la clinique lors d’une semaine typique avant la COVID-19.
• Au Centre du cancer Segal à l’HGJ, plutôt que des rencontres face à face, les patients rencontrent maintenant leur oncologue virtuellement. Les patients sont également suivis à distance, par le biais d’une clinique virtuelle personnalisée où une infirmière pivot communique avec eux par Zoom pour les aider à gérer leurs symptômes et, s’il y a lieu, intervenir en temps opportun.
• Dans le domaine de la santé mentale, les vidéoconférences sont utilisées pour effectuer des évaluations en psychiatrie et en santé mentale, pour diffuser des webinaires utiles à un vaste auditoire et pour organiser des groupes de discussion à l’intention de la Clinique d’accueil jeunesse.
• La Maison de naissance Côte-des-Neiges utilise Zoom pour les suivis post-partum et le soutien à l’allaitement. De plus, des 10 à 14 rendez-vous des futures mères pendant leur grossesse, de quatre à cinq ont maintenant lieu par le biais de la télémédecine.
• Sous la direction de la Dre Nathalie Saad, la démarche du Programme de réadaptation télépulmonaire a été élargie pour permettre aux patients présentant des difficultés pulmonaires de rester à leur domicile et de parler d’exercices thérapeutiques avec un professionnel de la santé par vidéoconférence.
• En raison de la crise en santé mentale parmi les personnes âgées vulnérables, le Programme d’intervention en télésanté pour briser l’isolement des personnes âgées a été établi pour mettre en relation les clients avec des bénévoles qui effectuent un appel téléphonique hebdomadaire dont le but est de remonter le moral.
• La division de psychiatrie gériatrique à l’HGJ planifie la mise en place d’un programme pilote sur Zoom pour appuyer des groupes d’une douzaine de participants. Le groupe, dirigé par un clinicien, se penchera sur des sujets comme la thérapie cognitive fondée sur la pleine conscience, les groupes de compétences de base et la thérapie de résolution des problèmes.
« L’expérience acquise pendant la pandémie illustre clairement les raisons pour lesquelles nous devons embrasser la télésanté et tirer pleinement parti de son potentiel », dit le Dr Lawrence Rosenberg, président-directeur général du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal.
« Bien que l’usager et le professionnel de la santé soient loin l’un de l’autre, le lien entre eux reste solide. La télésanté donne aux usagers l’assurance que leurs besoins peuvent être comblés rapidement et de manière satisfaisante. »
Anna D’Ambra, pilote clinique en télésanté au CIUSSS et analyste spécialisée en Informatique clinique auprès de l’Équipe de santé numérique, note que certains services de télésanté existaient déjà avant la COVID-19. Notamment une version préliminaire du Programme de réadaptation télépulmonaire de la Dre Saad et certains services du Centre de médecine familial Goldman Herzl, comme le Programme de télémédecine pour la santé vasculaire pour les premières nations.
Toutefois, dit-elle, les patients n’avaient pas habituellement l’autorisation de participer à une vidéoconférence de leur domicile. La plupart d’entre eux devaient se rendre à une installation de soins de santé pour se connecter par vidéo avec le professionnel médical.
De plus, ces programmes très spécifiques, visant des patients présentant des problèmes de santés particuliers, étaient souvent parrainés par un médecin ou un professionnel de la santé ayant un intérêt important envers la technologie numérique.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux ouvre la voie
L’une des raisons clés de la rareté de la télémédecine, explique le Dr Cross, était que le ministère de la Santé et des Services sociaux refusait d’approuver les remboursements aux médecins pour la plupart des activités en télésanté. Les paiements étaient effectués « seulement pour certains types de médecins et pour certains types de services », explique le Dr Cross.
Selon la Dre Saad, le gouvernement insistait également parfois pour que les communications aient lieu dans leurs installations, avec le médecin devant l’écran d’un ordinateur dans un centre de soins de santé et le patient devant l’écran d’un autre ordinateur dans un autre centre.
Dans certains cas, cette démarche s’est avérée bénéfique. En effet, il est devenu possible, par exemple, qu’un médecin dans un établissement de Montréal puisse conseiller un patient dans un centre d’une région éloignée du Québec. Mais cela signifiait malgré tout que le patient devait faire un déplacement inconvénient de son domicile au centre de soins de santé local.
Le moment décisif a eu lieu en février, peu de temps avant que la pandémie de la COVID-19 ne frappe la province. Le ministère a compris que pour prévenir la propagation du virus, la plupart des patients (et plusieurs membres du personnel, y compris certains cliniciens) devaient rester loin des hôpitaux et de certains autres centres de soins de santé.
Ainsi, agissant rapidement, le gouvernement a « approuvé les remboursements généralisés pour la plupart des services que les médecins prodiguaient par vidéo ou par téléphone », ajoute le Dr Cross.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux a franchi une autre étape importante en négociant directement avec Zoom pour obtenir « des comptes qui répondaient à des normes de sécurité et d’encodage plus élevées », a déclaré le Dr Marc Miresco, directeur, Services externes pour adultes, Institut de psychiatrie communautaire et familiale à l’HGJ.
Des soins quel que soit le lieu : un hôpital à domicile
À ce stade, l’Équipe de santé numérique était en place depuis quelques mois et les membres avaient le mandat de concrétiser la vision du Dr Rosenberg : faire en sorte que les soins de santé puissent être prodigués aux usagers quel que soit le lieu où ils se trouvent – en substance un hôpital à domicile.
Avant la pandémie, le plan original était d’effectuer une transition prudente et rapide vers la télésanté. Mais, quand les risques et les dangers notables de la COVID-19 sont devenus évidents, le rythme du processus s’est considérablement accéléré.
Sabine Cohen, directrice adjointe de la Santé numérique, est notamment chargée du domaine crucial de la sécurité de l’information, et elle a été d’un apport clé pour que l’équipe puisse travailler rapidement. De plus, Madame Cohen a assuré la liaison avec le ministère de la Santé et des Services sociaux pour l’implantation d’une version Zoom munie d’une sécurité accrue.
Initialement, certains patients et cliniciens auraient pu être sceptiques au sujet de ce qui pouvait être accompli pendant un rendez-vous qui n’avait pas lieu en personne. Cependant, les usagers ont rapidement découvert que la télésanté leur permettait effectivement de recevoir les soins dont ils avaient besoin de manière sûre et confidentielle.
Par exemple, ils pouvaient être traités pour des problèmes courants de soins primaires (comme les éruptions cutanées et certaines infections), et recevoir des évaluations sur la manière de gérer leur maladie chronique.
Un plus petit nombre d’entre eux continuaient également d’assurer le suivi de leurs signes vitaux depuis leur domicile. Grâce à des iPads et à des logiciels spécialisés, les professionnels de la santé pouvaient surveiller plus efficacement les maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension et les maladies pulmonaires obstructives chroniques (MPOC).
« Nous ne disons pas, et nous n’avons jamais dit que les visites en personnes cesseront », insiste le Dr Cross. « Dans plusieurs cas, le patient a besoin d’un examen physique ou sa présence en personne est indispensable pour établir une relation avec le professionnel de la santé ».
« Nous disons cependant que plusieurs visites en personnes ne sont pas nécessaires. Un grand nombre de problèmes sont simples et peuvent facilement être soignés à distance. »
Selon Michael Shulha (Ph. D.), directeur associé de la Santé numérique, les cliniciens ont trouvé que leurs patients étaient reconnaissants et que ces visites virtuelles réduisaient la possibilité d’une exposition à la COVID-19.
« Les cliniciens nous ont également dit que les patients aimaient pouvoir rencontrer leur professionnel de la santé sans devoir s’absenter de leur travail, chercher une place de stationnement coûteuse, ou trouver une gardienne d’enfants. »
M. Shulha ajoute que l’Équipe de santé numérique a commencé à explorer le sujet de manière plus rigoureuse en collaborant avec le Service Qualité du CIUSSS pour effectuer un sondage auprès des usagers (voir l’encadré).
« Nous espérons arriver à une évaluation plus systématique du fonctionnement de la télésanté pour les patients et les professionnels.
Dans l’ensemble, nous nous attendons à ce que la réaction soit positive, parce que plusieurs personnes sont heureuses d’avoir pu rester en contact avec leur professionnel de la santé pendant une période aussi difficile. »
Fournir l’expertise médicale en région
La Dre Nathalie Saad, qui défend ardemment la télésanté, a commencé à utiliser la technologie numérique dès 2017 pour mettre son expertise en réadaptation pulmonaire à la disposition des patients de l’ensemble du Québec.
Aujourd’hui, outre ses fonctions de pneumologue à l’HGJ et de directrice du Programme de réadaptation pulmonaire pour les patients externes à l’Hôpital Mont-Sinaï, elle est la médecin-championne de la télésanté du CIUSSS.
L’objectif permanent de la Dre Saad est de fournir un soutien à l’échelle du Québec aux personnes qui ont besoin d’aide pour gérer leur MPOC, la première cause des visites récurrentes au Département de l’urgence.
Cependant, dans sa version originale, son Programme a dû se conformer à un certain nombre de restrictions imposées par le gouvernement : le Programme pouvait être implanté seulement si les patients venaient à Montréal, en voiture ou en avion, vivaient à l’Hôpital Mont-Sinaï pendant trois semaines et recevaient des directives en personne sur la manière de gérer leur MPOC.
Étant donné la difficulté de cette exigence, la Dre Saad a collaboré avec les hôpitaux de l’ensemble de la province pour actualiser le Programme et éviter aux patients un voyage épuisant et déstabilisant à Montréal.
Ils pouvaient plutôt se rendre dans un centre de soins de santé près de leur domicile et se connecter aux membres de l’équipe de la Dre Saad grâce à la télésanté. Parallèlement, ils continuaient à rencontrer en personne leur propre équipe de soins, qui pouvait comprendre un médecin spécialiste, un médecin de famille, une infirmière ou un inhalothérapeute.
Depuis 2017, ce Programme de réadaptation télépulmonaire a aidé plus de 300 patients dans sept centres, certains dans la région de Montréal (Verdun, Joliette) et d’autres plus éloignés (Abitibi, Outaouais, Lanaudière).
« La plus grande différence depuis le 11 mars est que maintenant, nous pouvons réellement joindre les patients à leur domicile », explique la Dre Saad. « En raison de la pandémie, nous avons adapté notre Programme pour être en mesure de fournir des directives à nos patients et de leur faire faire de l’exercice à la maison. Ce sont exactement les mêmes exercices qu’ils feraient s’ils étaient avec nous à l’Hôpital Mont-Sinaï ou s’ils étaient connectés avec nous sur le site désigné dans leur région ».
Télésanté : et après la COVID-19?
Malgré son engagement envers la télésanté, la Dre Saad rappelle que cette nouvelle démarche numérique ne vise pas à remplacer toutes les visites en personne des patients à leurs médecins traitants. « C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis convaincue que ces changements seront maintenus après la COVID-19 » ajoute-t-elle.
« Toutefois, il faut que cela soit fait correctement. Nous devons cesser de considérer la télémédecine comme étant différente d’une clinique habituelle. Cela signifie qu’il faut des rendez-vous, une structure, des suivis systématiques, pouvoir obtenir les résultats des tests et, s’il y a lieu, être suffisamment souple pour voir les patients en personne à la clinique. »
M. Shulha est d’accord et souligne que la première mission de l’Équipe de santé numérique du CIUSSS dans le monde de l’après COVID-19 sera de poursuivre le processus de maturation et d’intégrer plus étroitement la télésanté dans les flux de travail quotidiens du réseau de soins de santé partout où cet outil est pertinent.
L’Équipe cherchera également des manières, certaines imprévisibles auparavant, d’utiliser la télésanté à des fins complètement nouvelles, de dire Danina Kapetanovic, qui est à la tête du Programme d’innovation et d’entrepreneuriat au bureau du président-directeur général.
« La présence de la COVID-19 nous a motivés à faire preuve d’imagination pour encourager l’innovation et nous demander où la technologie pouvait être mise en œuvre et où nous pouvions trouver des idées novatrices qu’il serait possible de lancer », dit-elle.
« La télésanté n’est pas restreinte à une visite par le biais d’un lien vidéo », ajoute Anna D’Ambra. « Lorsqu’elle est mise en œuvre correctement, avec des fonctionnalités comme le suivi des patients à distance, elle habilitera ces derniers à prendre en charge leur santé et leur bien-être et à participer à leurs propres soins.
« Ce que nous voyons maintenant n’est qu’un début, un avant-goût d’un avenir très proche et un aperçu de ce que cet avenir nous réserve. »



Dre Nathalie Saad