Quand Patricia Spragg a contracté la COVID-19 en juin, elle savait, surtout à titre de survivante du cancer du sein, à quel point elle pouvait être affectée par un excès d’efforts. Malgré tout, elle a souffert d’épuisement et de maux de tête, parce que, comme elle l’admet volontiers, elle ne peut pas rester en place.

Il a fallu un appel téléphonique ferme mais patient de Natalie Leon, une infirmière pivot en oncologie au Centre du cancer Segal à l’HGJ, pour remettre Madame Spragg sur la bonne voie.

Elle m’a dit : « Vous savez Patricia, vous devez choisir trois choses que vous voulez faire », se souvient Madame Spragg. « Ensuite, déterminez ce qui est le plus important et faites-le. Puis, allez vous reposer ».

« Après cette conversation, tout est allé beaucoup mieux, au lieu de continuer comme le lapin Energizer. »

Quand la pandémie a frappé, Madame Leon et sa collègue infirmière pivot, Gabrielle Chartier, ont préparé une liste de 108 noms et numéros de téléphone de patients externes qui avaient été pris en charge par le Centre du cancer Segal et avaient également été contaminés par la COVID-19.Gabrielle Chartier, infirmière pivot à la Section d’oncologie cervico-faciale au Centre du cancer Segal.

Ensuite, avec l’aide de Tiziana Vadacchino, une autre infirmière pivot, elles ont téléphoné à chacun de ces patients, parfois jusqu’à deux fois par jour, pour s’assurer que ces derniers recevaient le soutient dont ils avaient besoin et disposaient des ressources nécessaires.

« D’une certaine manière, nous avons eu de la chance », dit Madame Chartier. « Comme nous avons été parmi les derniers pays au monde à être touchés par la pandémie, nous avons pu voir ce qui se passait ailleurs, consulter les documents et tirer parti de ces renseignements pour développer nos propres manières de procéder.

En raison de la nature unique du Centre du cancer Segal, ce service de télésanté pour les patients * atteints de cancer et contaminés par la COVID-19 était le seul du genre au Québec, dit Madame Chartier.

Pour s’assurer que les patients pouvaient recevoir des conseils dans une vaste gamme de domaines, l’équipe comprenait une psychologue, une nutritionniste et une ergothérapeute. Les infirmières pouvaient également consulter rapidement des spécialistes du Service de prévention et contrôle des infections.

Cet effort concerté pour rester en contact avec les patients par le biais de la télésanté, par téléphone ou par le biais de rencontres vidéo sur des plateformes comme Zoom, a permis aux infirmières de jouer un rôle clé pendant la pandémie dans des domaines tels que l’oncologie, la médecine pulmonaire et la cardiologie.

À certains égards, les infirmières avaient une longueur d’avance. En effet, en 2017, elles avaient déjà lancé une ligne téléphonique de triage d’urgence pour aider les patients externes atteints de cancer à gérer les symptômes et les effets secondaires de leurs traitements.

La liste de Madame Leon comportait le nom de Madame Spragg, qui travaille dans un centre de soins de longue durée à Montréal, puisque cette dernière avait eu un diagnostic d’un cancer du sein en 2015, suivi de chimiothérapie, d’une intervention chirurgicale et de radiothérapie.

C’est dans le cadre de ces traitements qu’elle a d’abord bénéficié de soins infirmiers personnels à l’HGJ, qu’elle décrit aujourd’hui comme « phénoménaux ». Les deux premières semaines ont été atroces.

Mais, au fur et à mesure que je faisais la connaissance des membres du personnel, mes craintes disparaissaient.

Il y avait tellement de patients qui avaient les mêmes problèmes que moi, mais le personnel infirmier m’a donné l’impression qu’ils concentraient toute leur attention seulement sur moi.

Madame Spragg a éprouvé le même sentiment quand elle a commencé à parler avec Madame Leon pendant la pandémie. Communiquer par téléphone n’a pas diminué la puissance de leur lien.

« Il n’est pas nécessaire de la voir pour vous sentir mieux », de dire Madame Spragg, qui est en bonne santé aujourd’hui.

« Il suffit de parler à certaines personnes pour sentir leur véritable esprit. Elle était patiente, claire et précise, et elle savait ce qu’elle faisait. Toutes ces infirmières, ce sont des anges, sans les ailes! »

Ce sont de telles expériences des patients qui ont rendu la participation des infirmières à la télésanté tellement précieuse pendant la pandémie, explique Lucie Tremblay, la directrice des soins infirmiers.

« Malgré la distance, les infirmières ont été en mesure de maintenir des liens étroits avec leurs patients, tout au long de la pandémie », dit Madame Tremblay. L’utilisation de la technologie par ces professionnels a contribué à soutenir les personnes malades en période de crise et à continuer à les soigner de façon sécuritaire. »

Marc-André Reid, conseiller en soins infirmiers, Santé numérique, note également que pendant la crise, « les infirmières ont redoublé d’ardeur et de créativité ».

« Elles ont embrassé le concept des visites virtuelles et y ont rajouté leur saveur infirmière bien propre qui fait toute la différence auprès des usagers et de leurs familles. Le leadership infirmier a été crucial dans le déploiement de ce nouveau médium de soins. »

Signes vitaux surveillés à distance

Bien qu’une grande partie des télésoins infirmiers permettent de tisser des liens par téléphone ou par Zoom, d’autres formes de contacts à distance sont également introduites. Notamment, un dispositif portable (semblable soit à une montre-bracelet soit à un patch) qui permet de surveiller les signes vitaux à distance et sera testé à l’HGJ cet automne

Dans un premier temps, le dispositif testé est remis à quelque 100 patients des Services d’oncologie et cardiovasculaire soignés à l’Hôpital, explique Erin Cook, codirectrice des Opérations au Centre du cancer Segal et coordinatrice clinique administrative, Oncologie et soins cardiovasculaires.

Cette étape permet aux cliniciens de confirmer que ce dispositif, qui transmet des données sur la température, la pression sanguine, le rythme respiratoire, la fréquence cardiaque, le taux d’oxygène, le rythme cardiaque, etc., est calibré correctement et que les données transmises correspondent exactement à celle de l’équipement standard de l’Hôpital.

En outre, ajoute Madame Cook, cette étape permet aux patients hospitalisés de fournir du feedback sur le confort et la convivialité du dispositif.

Un dispositif de télésanté de type montre-bracelet est utilisé pour surveiller à distance les signes vitaux des patients.

Un dispositif de télésanté de type montre-bracelet est utilisé pour surveiller à distance les signes vitaux des patients.

Si tout va bien, le dispositif sera remis aux patients externes qui l’apporteront à leur domicile pour un test sur le terrain. Si le dispositif répond à nos attentes, les infirmières qui surveillent les données pourront déterminer plus rapidement la gravité du problème quand un patient ne se sent pas bien.

De plus, elles pourront fonder leurs décisions de traitement sur les données physiologiques, en sus de la description suggestive du patient sur ce qu’il ressent.

Très souvent, poursuit Madame Cook, quand un patient qui n’a pas de dispositif de surveillance ne se sent pas bien, il peut préférer attendre et voir si son état de santé s’améliore. Si ce n’est pas le cas, il peut décider d’aller à l’Hôpital, très probablement au Département de l’urgence, pour recevoir des soins.

« Mais, grâce à ce dispositif, nous pouvons consulter rapidement l’information transmise, communiquer avec le patient à un stade précoce et dire “Vous semblez aller un peu moins bien aujourd’hui. Comment vous sentez-vous?” Si un soutien est nécessaire, nous pouvons le proposer immédiatement, ce qui pourrait éviter une visite au Département de l’urgence ou une hospitalisation. »

Selon Madame Cook, à long terme, la montre-bracelet et le patch pourraient même permettre à certains patients de quitter l’Hôpital plus rapidement. Comme leurs signes vitaux continueraient d’être surveillés régulièrement, les infirmières seraient avisées rapidement de tout changement important à leur état de santé.

Feedback d’un sondage

Malgré les nombreux avantages découlant d’une connexion par le biais de la technologie numérique, il existe encore certains obstacles. Madame Cook cite les résultats d’un sondage mené à l’HGJ au milieu du printemps, dans lequel certains patients atteints de cancer indiquaient que le manque d’accès à un téléphone cellulaire ou à un ordinateur les empêchait de participer à une rencontre pas Zoom ou de télécharger des renseignements écrits.

Cette situation pourrait refléter l’état socio-économique de certains patients, et c’est la raison pour laquelle Madame Cook et ses collègues partagent les résultats de leur sondage avec le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, dans l’espoir d’améliorer l’accès aux soins de ces patients.

D’autre part, les résultats du sondage ont également révélé que la possibilité d’utiliser la télésanté satisfait plusieurs patients immunodéprimés, qui sont reconnaissants de ne pas avoir à venir à l’Hôpital, où le risque d’exposition à la COVID-19 est plus élevé.

Parmi les infirmières sondées, plusieurs ont déclaré que les rencontres par Zoom avaient rehaussé leur efficacité pour réduire l’anxiété des patients, puisque le lien visuel était ce qu’il y avait de mieux pour remplacer un contact en personne.

De plus, l’écran permet aux infirmières de consolider leurs liens personnels avec les patients et les proches aidants, et de mieux comprendre la situation générale de leurs patients en pouvant voir leur environnement familial.

Une source de répit psychologique et émotionnel

Pour certains patients en oncologie cervico-faciale, la télésanté a également été une source de répit psychologique et émotionnel. Madame Cook explique que presque tous ces patients ont un certain degré de défigurement du visage, de la bouche ou de la gorge, en raison de l’ablation de tissus cancéreux.

Par conséquent, ces personnes ont souvent du mal à composer avec l’image qu’elles présentent et elles peuvent être mal à l’aise à l’idée de venir à l’Hôpital pour des soins de suivi. Zoom permet d’éviter la plupart de ces visites potentiellement inconfortables, tout en diminuant considérablement les risques d’exposition à COVID‑19.

Gabrielle Chartier, qui reste en contact avec plusieurs patients d’oncologie cervico-faciale, dit qu’avant le début de la crise, des plans étaient déjà en cours pour introduire certains éléments de télésanté. La pandémie a simplement accéléré leur implantation.

L’utilisation d’une plateforme virtuelle a ajouté une nouvelle dimension importante. Par exemple, ajoute Madame Chartier, quand un patient doit être informé d’une transition dans ses soins, comme le début des soins palliatifs, il peut en être avisé par Zoom quand un conjoint ou un autre membre de sa famille est présent pour l’appuyer.

Ses commentaires sont repris par ses collègues d’autres domaines. Dans la clinique d’insuffisance cardiaque, l’infirmière clinicienne Esther Laforest travaille au sein d’une équipe interdisciplinaire qui organisait régulièrement des réunions en personnes avant la pandémie pour vérifier l’état de santé de plus de 700 patients souffrant de différents niveaux d’insuffisance cardiaque.

Comme la plupart de ces patients ne pouvaient pas venir à l’HGJ pendant la pandémie, la télésanté est devenue essentielle pour fournir des éléments visuels, dit-elle.

« Il ne faut pas sous-estimer l’importance de l’information que le visage d’une personne peut transmettre. Si les choses ne vont pas bien, ou si le patient souffre d’une surcharge de fluides ou d’une congestion considérables, l’aspect de son visage nous en dira long ».

« Nous pouvons voir l’utilisation de muscles accessoires et l’essoufflement, et surveiller les symptômes respiratoires. En fait, il est possible d’avoir une bonne idée de la circulation sanguine du patient d’après la couleur ou de l’enflure du visage ou des jambes. »

Madame Laforest reconnaît que dans certains cas, la portée des images peut être restreinte, par exemple si elles proviennent d’un patient dont la webcam est fixée à l’écran de son ordinateur de bureau. « Mais, même dans une telle situation, la dimension visuelle peut être un atout important pour l’évaluation. »

De la même manière, dans la Division de médecine pulmonaire, Yujie Hu dit que la capacité de déceler visuellement l’essoufflement est d’une importance vitale pour aider les patients souffrant d’une maladie pulmonaire obstructive chronique.

Avant la pandémie, Madame Hu, qui est infirmière conseillère en soins, fournissait presque toujours un soutien par téléphone aux patients qui avaient besoin d’une aide immédiate. Maintenant, dit-elle, les contacts visuels par Zoom sont beaucoup plus fréquents, non seulement pour que l’aspect des patients nous aide à déterminer leur état de santé, mais aussi pour nous permettre de nous assurer que les patients utilisent leurs inhalateurs correctement et reçoivent la dose optimale de médicaments.

Pour toutes ces raisons, Erin Cook est convaincue que la télésanté a fait un pas de géant en devenant un élément intégral de certains aspects des soins infirmiers. « Ces initiatives nous donnent un accès accru à nos patients, et nous pouvons les joindre plus rapidement », dit-elle.

« Dans l’ensemble, il s’agit d’une meilleure manière de faire participer nos patients à leur propre santé. Pour les y aider, la télésanté est devenue un outil supplémentaire de la panoplie des soins infirmiers. Nous commençons seulement à exploiter le potentiel de ce que la télésanté peut faire. »

Delina Maghakian, infirmière clinicienne à la Clinique d’insuffisance cardiaque à l’HGJ, ajuste un moniteur de type montre-bracelet, un dispositif de télésanté qui permet de surveiller à distance les signes vitaux de son patient.
L’infirmière clinicienne Mandy Collins au Centre du cancer Segal.
Esther Laforest, infirmière clinicienne à la Clinique d’insuffisance cardiaque.
Erin Cook, codirectrice des Opérations au Centre du cancer Segal.