En attendant d’obtenir son congé de l’Hôpital, à la mi-mai, Barry Evans ne pouvait pas s’empêcher de se demander si le confinement entraîné par la COVID-19 l’empêcherait de recevoir les soins de réadaptation essentiels dont il avait besoin.

Avec un bras gauche très affaibli et une élocution altérée par un accident vasculaire cérébral, M. Evans devait commencer un programme d’exercice sans tarder, mais sans aller dans un centre de réadaptation ni laisser un thérapeute pénétrer dans son domicile de Pierrefonds.
Il n’avait pas à s’inquiéter.

En effet, dès le lendemain, Ivy Gumboc, une ergothérapeute au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, téléphonait à M. Evans pour l’aider à installer une connexion en télésanté. Et, le jour suivant, il avait sa première séance de réadaptation par Zoom.

En tournant l’objectif d’un iPad, Wendy Evans pouvait montrer à Madame Gumboc et à ses collègues comment son mari répondait à leurs directives.

« Wendy est devenue une spécialiste des angles de la caméra », se souvient M. Evans. « Les ergothérapeutes regardaient leur écran et voyaient assez rapidement si je devais modifier mes mouvements ».

Cette expérience en réadaptation à distance, un service rare avant la pandémie, est devenue la norme au printemps quand les professionnels du CIUSSS ont agi rapidement pour être en mesure de fournir ces services à distance. Sans la crise, il est peu probable que la téléréadaptation aurait été lancée aussi rapidement.

« En réadaptation, nous disons souvent que nous sommes à la fine pointe des contacts physiques plutôt qu’à la fine pointe de la technologie », de dire Gary Stoopler, directeur de la Réadaptation et des Services multidisciplinaires du CIUSSS. « Bien qu’il y ait une limite à ce qui peut être accompli virtuellement, nous nous sommes adaptés rapidement pour fournir tout ce qui pouvait l’être à domicile ».

Selon Maxine Lithwick, coordinatrice des Services sociaux et de la Pratique professionnelle, des lignes directrices ont été également établies pour donner aux professionnels un cadre de travail qui les aiderait à utiliser la télésanté.

Cet encadrement a aidé le personnel à déployer cette nouvelle technologie et à se familiariser avec différentes plateformes, y compris les outils de protection de la confidentialité et de consentement des usagers des soins de santé, ainsi que l’information sur la manière d’assurer le respect des normes professionnelles.

Pour M. Evans, la téléréadaptation était essentielle à son rétablissement de l’accident vasculaire cérébral dont il avait été victime. En effet, le 4 mai, pendant qu’il s’amusait avec un jeu vidéo, il a remarqué que sa main gauche ne réagissait pas normalement, et, bien qu’il soupçonnait qu’il pouvait s’agir d’un problème vasculaire cérébral, ce n’est que le lendemain, devant l’insistance de sa femme, qu’il a finalement obtenu de l’aide.

Les premiers soins ont été prodigués à l’Hôpital général du Lakeshore. Par la suite, M. Evans a été transféré à l’Institut neurologique de Montréal où il a séjourné pendant cinq jours avant de commencer un programme de téléréadaptation dès son retour à domicile : quatre semaines de thérapie intensive, suivies d’un programme moins exigeant qui s’est poursuivi jusqu’à la fin juillet.

Grâce à la téléréadaptation par Zoom les thérapeutes ont pu aider M. Evans à retrouver la dextérité de sa main gauche par le biais d’activités manuelles progressives, comme empiler des jetons de backgammon, retourner des cartes à jouer, ramasser des pièces de monnaie et comprimer une balle.

« J’ai dû utiliser les articles que j’avais à la maison, ce qui n’était pas toujours facile », ajoute M. Evans, « mais, mes thérapeutes ont très bien adapté mon traitement sur Zoom ».

Télésanté : « Nos yeux et nos oreilles dans le domicile »

M. Evans a participé au Programme de congé précoce assisté (CPA), qui a été lancé en 2017 afin de fournir des services de réadaptation au domicile des patients qui se rétablissaient d’un accident vasculaire cérébral léger ou sans séquelles importantes.

Ivy Gumboc, la coordonnatrice du programme CPA au site Constance-Lethbridge du Centre de réadaptation Lethbridge-Layton-Mackay, précise que ce service est offert à toutes les personnes habitant sur l’Île de Montréal. Cette disponibilité a été rendue possible grâce à la collaboration des CIUSSS du Centre-Ouest et du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et de l’Hôpital de réadaptation Villa Medica.

Madame Gumboc explique qu’avant la COVID-19, chacun des sites où le CPA était offert pouvait traiter cinq clients à la fois. Toutefois, au printemps, pendant la période de pointe de la pandémie, ces services ont été accrus pour fournir de la téléréadaptation à entre neuf et onze clients par le biais de Zoom.

Cet été, le Programme CPA a été modifié de nouveau pour offrir une combinaison de soins en personne et de réadaptation virtuelle.

Quand l’aide est fournie à distance, les professionnels collaborent étroitement avec les proches aidants qui deviennent ce que Madame Gumboc appelle « nos yeux et nos oreilles dans le domicile ».

« Quand nous travaillons en équipe, le mot impossible n’a plus de sens. À titre de professionnels, nous sommes fiers de notre volonté d’apprendre quelque chose de nouveau et d’embrasser la technologie. »

La télésanté s’est également avérée inestimable pour permettre aux patients hospitalisés de rester en contact avec leur famille, ajoute Nancy Cox, la coordonnatrice des Programmes de réadaptation pour les adultes atteints d’incapacité motrice.

Il ne s’agit pas seulement de remonter le moral des patients, explique Madame Cox, mais de donner aux proches la possibilité de voir les progrès des patients, par exemple quand ils font leurs premiers pas après un accident vasculaire cérébral.

Lors de la planification du congé, le patient et le thérapeute au centre de soins de santé utilisent un iPad pour se connecter à un membre de la famille et à un ergothérapeute au domicile du patient. Comme l’intérieur du domicile est visible à l’écran, le thérapeute peut déterminer plus facilement ce qui doit être modifié pour répondre aux besoins du patient.

« Avant la COVID-19, nous tentions de faire ces préparatifs en reproduisant l’environnement du domicile dans un cadre hospitalier », dit Madame Cox. « Cela signifiait que nous devions demander au patient ou à un membre de sa famille de décrire la baignoire, par exemple, ou encore ‘De quel côté de la salle de bain est-elle?’ ‘Où est le robinet?’ ‘Où se trouve la toilette par rapport à l’entrée de la salle de bain?’ ».

« Mais avec la télésanté, la conjointe ou le conjoint tient le iPad et nous fait littéralement visiter la maison pour nous aider à planifier plus précisément comment le patient fonctionnera dans cet environnement. »

Prendre les mesures pour un fauteuil roulant grâce à la télésanté — une démarche unique au Québec

Le travail en équipe a été tout aussi crucial pour un programme du CIUSSS dans le cadre duquel les fauteuils roulants sont adaptés pour répondre aux besoins particuliers des clients.

« Il ne s’agit pas seulement de choisir un certain modèle dans un catalogue », explique Filomena Novello, la coordonnatrice du Service de réadaptation et du Service soutien aides techniques au Centre de réadaptation Lethbridge-Layton-Mackay.

« Tout est fait sur mesure », dit-elle, « il faut donc faire très attention aux éléments de positionnement, ainsi qu’aux coussins, aux rembourrages et aux moulures qui permettent au patient de s’asseoir en toute sécurité et confortablement ».

Avant la COVID-19, les mesures étaient prises en personne dans les différentes installations du CIUSSS, comme l’Hôpital Richardson, l’Hôpital Catherine-Booth, le Centre gériatrique Maimonides Donald Berman et le Centre d’hébergement Father-Dowd, où les usagers résidaient ou recevaient des soins à titre de patients admis.

Cependant, quand la pandémie s’est installée, « nous avons dû tout revoir pour développer une manière de prendre les mesures des clients à distance pour leur fauteuil roulant », dit Madame Novello.

Ce problème été résolu par Sébastien Thibeault, ergothérapeute et coordinateur clinique au sein du Service soutien aides techniques. En effet, M. Thibeault a créé une clinique virtuelle pour les fauteuils roulants dans une salle du Centre Constance-Lethbridge où un ergothérapeute et un technicien utilisent un grand écran, un logiciel de télésanté et l’équipement nécessaire pour mesurer les clients.

Dans une autre installation de soins de santé du CIUSSS, le client (assis dans un fauteuil roulant d’usage général) et un ergothérapeute (vêtu de l’équipement de protection individuelle) se connectent à la clinique virtuelle. Les données nécessaires sont transmises et l’écran permet aux professionnels au Centre Constance-Lethbridge de bien comprendre les besoins du client.

Grâce à ce système, les clients reçoivent leur fauteuil roulant environ un mois après avoir été mesurés, plutôt que d’attendre deux à trois mois comme avant la pandémie.

« C’est l’une de nos réussites les plus remarquables, qu’aucun autre Service soutien aides techniques au Québec n’a égalé », de dire Madame Novello. « Maintenant, plusieurs autres Services soutien aides techniques suivent notre exemple et collaborent avec nous pour effectuer des analyses comparatives, parce que personne d’autre n’a pensé à faire la même chose que nous. »

En fait, ajoute-t-elle, il n’y a aucun Service semblable ailleurs au Canada. Mais, elle souligne qu’il est impossible de faire une véritable comparaison, puisque le Québec est la seule province où l’adaptation des fauteuils roulants est effectuée au sein du secteur public, plutôt que par une entreprise du secteur privé.

Une démarche novatrice est également requise pour les personnes qui se rétablissent de blessures musculosquelettiques, ajoute Madame Novello. Pendant la pandémie, les patients externes qui avaient besoin de physiothérapie à l’HGJ avaient d’abord une entrevue téléphonique ou par Zoom. Ceux dont le cas était urgent obtenaient un rendez-vous en personne avec un physiothérapeute (vêtu d’équipement de protection individuelle).

Les autres patients effectuaient leur programme, à leur domicile, par le biais de séances sur Zoom, pendant que le physiothérapeute regardait l’écran pour s’assurer, par exemple, qu’ils marchaient correctement ou qu’ils pouvaient plier leur genou au-delà d’un certain point.

Selon Madame Novello, la télésanté a été introduite par son équipe dans un grand nombre d’autres domaines, y compris la réadaptation cardiaque à l’Hôpital Richardson, l’ergothérapie pour les patients en oncologie et les patients admis à la suite d’un séjour à l’unité des soins intensifs, les évaluations orthophoniques à la suite de traitements de radiothérapie et les services de nutrition clinique dans les cliniques du CIUSSS.

« Il y a une idée préconçue selon laquelle certaines choses doivent être effectuées en personne », ajoute Madame Novello, « mais ce n’est pas nécessairement le cas. Nous avons même convaincu certains de nos thérapeutes, qui étaient un peu hésitants au début, d’essayer ces nouvelles techniques ».

Interventions pour l’autisme – à distance

Les restrictions entraînées par la pandémie présentaient des défis particulièrement difficiles à relever au Centre Miriam, où dans des circonstances normales, un soutien en personne est fourni aux clients atteints d’autisme ou d’autres déficiences intellectuelles.

Avant la COVID-19, les membres de la famille étaient présents pour voir comment les thérapeutes travaillaient avec les clients, explique la Dre Shari Joseph, psychologue, coordonnatrice des services de réadaptation au Centre Miriam. Ensuite, les proches effectuaient les mêmes interventions, sous l’œil attentif des thérapeutes qui s’assuraient qu’elles étaient faites correctement.

Au début de la crise, les membres du personnel du Centre Miriam téléphonaient chaque semaine à chaque client, que cette personne habite avec des membres de sa famille ou dans un foyer de groupe. Ils ont également contacté chaque client inscrit sur la liste d’attente afin de déterminer si leurs besoins en réadaptation étaient devenus plus urgents.

De plus, la Fondation Miriam a rapidement fourni les fonds requis pour l’achat d’environ 40 iPads, qui ont permis aux thérapeutes de maintenir un contact visuel avec les clients et leurs familles.

Selon la Dre Joseph, la continuité qu’offre la télésanté est ce qui la rend tellement essentielle, même si la qualité de thérapie est inférieure aux niveaux antérieurs à la COVID-19.

Par exemple, le programme d’Intervention comportementale intensive (ICI) pour un enfant autiste de moins de six ans comprend habituellement 20 heures de thérapie par semaine. Après l’implantation du programme de téléréadaptation ICI, la plupart des enfants ont été en mesure de recevoir approximativement trois heures de soutien hebdomadaire; le thérapeute encadrait les parents et observait l’enfant pendant l’acquisition de nouvelles compétences. Depuis que la pandémie s’est atténuée, le nombre d’heures de thérapie est revenu au niveau antérieur.

« Le feedback a été réellement positif », dit la Dre Joseph, « surtout de la part des familles qui sont soulagées de ne pas devoir se déplacer fréquemment avec un enfant handicapé. Les familles aimaient aussi que nous puissions voir ces enfants dans leur environnement naturel et que nous soyons en mesure de mieux comprendre ce qu’ils vivent au quotidien ».

La réponse aux interventions en télésanté a été tellement encourageante que le Centre Miriam a élargi son programme de kinésiologie pour inclure une vaste gamme d’autres usagers du Centre. Avant la pandémie, la kinésithérapeute offrait aux usagers des séances en personne pour améliorer leur stabilité, leur équilibre et d’autres capacités motrices.

Pendant la pandémie de la COVID-19, elle a commencé à proposer des séances hebdomadaires sur Zoom; depuis, le nombre de groupes virtuels est passé d’un à sept.

« Dans plusieurs cas, il s’agit de clients que la kinésithérapeute n’aurait peut-être pas vus autrement », ajoute la Dre Joseph. « Mais, comme leur stimulation était insuffisante, ils ont vraiment saisi cette occasion d’activité physique supervisée ».

Planifier pour l’après COVID-19

Quand la menace de la COVID-19 aura cessé, la Dre Joseph entend tirer parti de la souplesse de la télésanté pour accroître les options des clients du Centre Miriam, par exemple, en offrant des séances en personne et sur Zoom en alternance chaque semaine.

Au Centre de réadaptation Lethbridge-Layton-Mackay, le personnel envisage d’inclure le traitement de la douleur chronique, qui était seulement offert lors de séances en personne avant la pandémie.

« À titre de professionnels de la santé, nous devons tenir compte de ce qui est pertinent pour notre pratique », précise Maxine Lithwick. « Maintenant que nous avons acquis plus d’expérience, nous effectuons des sondages auprès de notre personnel pour cerner ce que nous pensons être les meilleures pratiques en matière de télésanté ».

« Ces initiatives sont déjà bien enracinées », convient Gary Stoopler. « Elles ont été développées en raison de la COVID-19, mais elles se poursuivront à long terme ».

« Même quand un vaccin aura été mis au point, nous ne savons pas combien de doses seront nécessaires pour assurer l’immunité ni combien de temps il faudra pour vacciner toute la population. Par conséquent, nous devons envisager le pire des scénarios, ce qui signifie tirer pleinement parti de la télésanté pour fournir le plus grand nombre possible de services essentiels. »

Gary Stoopler